Les origines mystérieuses de l'Ambregris

Pour maintenir son poids corporel prodigieux - environ cinquante tonnes pour un mâle et une vingtaine pour une femelle- un cachalot doit consommer environ une tonne de nourriture par jour, plongeant encore et encore à des pressions qui réduisent sa cage thoracique flexible à une fraction de son volume habituel. En fait, presque tout chez un cachalot est aussi invraisemblablement surdimensionné que son appétit : un cerveau de dix-sept livres ; une mâchoire inférieure ornée d'une cinquantaine de grandes dents coniques pesant chacune jusqu'à deux livres ; un énorme coeur musclé. Des chercheurs ont décrit un cœur de cachalot de 256 livres, qui a été prélevé sur un gros spécimen mâle tué par une compagnie baleinière péruvienne.

Au cours d'une seule de ses plongées d'une heure, jusqu'à des profondeurs de plus d'un mile sous la surface de l'océan, un grand cachalot peut ingérer des centaines de livres de calmars d'eau profonde. Après plus de vingt minutes de descente, à travers des couches d'eau de plus en plus froides jusqu'à la zone mésopélagique, à plusieurs milliers de pieds au-dessous du niveau de la mer, il se nourrit gloutonnement de céphalopodes près du fond de la mer, mangeant des calmars dont le poids varie de quelques onces à des monstres de plus de deux cent livres.

Courbés comme un bec de perroquet, les becs de calmars qui ne sont pas régurgités s’engagent dans le tract digestif de l’animal, frottant et irritant la délicate muqueuse intestinale au passage. Cette masse agglomérée est poussée le long des intestins et devient un solide indigeste enchevêtré, qui commence à obstruer le tube digestif et agit comme un barrage. Lentement, le processus se répète, ajoutant des strates supplémentaires au morceau, qui grossit avec le temps.

Peut-être, dans certains cas, une baleine est-elle capable de passer l'ambregris. Dans d'autres, le rocher croissant est mortel. Il obstrue complètement l'intestin, et la baleine souffre d'une rupture fatale. Dans un processus qui prend des années, une strate de trop a été superposée aux autres et l'ambre gris est devenu trop gros pour l'intestin. La baleine morte, maintenant à la dérive au large, commence à se décomposer. En quelques heures, la carcasse sera entourée de requins, de goélands, les pétrels et les puffins arriveront dans un enchevêtrement bruyant et s'installeront dans l'eau autour du cadavre. À un moment donné, l'ambre gris tombera dans l'océan, commençant son long périple.

Fraîchement expulsé, l'ambregris noir et visqueux est légèrement moins dense que l'eau de mer et s'élève lentement, porté par les courants océaniques où il flotte, oublié et pour la plupart submergé, parfois pendant des années. Il peut surfer sur la houle des océans pendant des décennies et rouler à travers les cyclones et la chaleur équatoriale des Tropiques. Il est piégé dans des tourbillons océaniques, de grands systèmes de courants océaniques rotatifs, qui l’amènent des pôles aux tropiques. Ce voyage ne peut être substitué. Comme le vin en bouteille, l'ambre gris mûrit lentement en mer. Peu à peu, molécule à la fois, elle réagit avec son environnement jusqu'à ce que, oxydée par l'eau salée, dégradée par la lumière du soleil et érodée par l'action des vagues, elle s'échoue quelque part le long d'une côte éloignée et balayée par le vent.

Au moment où un morceau d'ambre gris vieilli et bien mur arrive sur le rivage, il a été travaillé sur les océans, ballotté sur les vagues pendant des années. Selon la durée de son séjour en mer, sa couleur et sa texture auront évolué d'une substance noire semblable à du goudron à une boule cireuse pâle et lisse, roulant dans les vagues. Au fil des années, il perd la majeure partie de sa teneur en eau. Il devient plus petit et plus dense. Son extérieur durcit et prend un aspect de croûte dure. Plus que toute autre chose, il ressemble maintenant à une pierre gris clair, un peu comme de la pierre ponce, de la craie ou de l'argile séchée. Sa surface peut avoir une patine brillante; son intérieur sera parsemé de becs de calmar incrustés, comme des graines noires brûlées. Il sent piquant et, au fur et à mesure qu'il évolue, il subit une autre transformation : l'odeur forte qui caractérise l'ambre gris fraîchement expulsé s'adoucit progressivement en mer et est remplacée par une odeur riche et complexe décrite diversement comme douce, boisée, terreuse et marine.

Qu'il sente les églises, les noix du Brésil, les bosquets de fougères ou tout cela, c'est un composant recherché des parfums et il est vendu au gramme en petits morceaux de la taille d'un galet aux parfumeurs indépendants ou en vrac à ceux qui en ont les moyens. Il est colporté dans les souks poussiéreux par les herboristes du Maroc et du Caire, où il est aphrodisiaque et brassé à la cuillère à café dans des tasses de thé sucré. Dans tout le Moyen-Orient, il est utilisé comme encens dans les cérémonies religieuses. En Chine, on le mange. Tout au long de l'histoire, il a été utilisé comme médicament, comme ingrédient dans la cuisine, comme composant de parfums, parure, signe de richesse, reconnaissance et célébration du grand mystère obscur et invisible de l'océan.